13° Édition
E-waste in Ghana: Sur la route des déchets électroniques
Un reportage collaboratif d'Anas Aremeyaw Anas, Muntaka Chasant et Bénédicte Kurzen.

Accra, Ghana, printemps 2023.
Zongo Lane, un vieux quartier de la capitale ghanéenne, ressemble à une caverne d’Ali Baba, avec des centaines de petites boutiques de composants électroniques, de modules et de pièces détachées en tout genre. Les appareils électroniques cassés sont démontés et réutilisés.
© Bénédicte Kurzen pour la Fondation Carmignac / Noor.
62 millions de tonnes : c’est le volume de déchets électriques et électroniques – produits en fin de cycle fonctionnant sur batterie ou sur secteur, communément appelés « e-waste » – généré dans le monde en 2022, selon le dernier Global E-Waste Monitor Report publié par les Nations Unies*. Le nombre de smartphones, montres connectées, écrans plats, ordinateurs et tablettes qui sont jetés ne cesse d’augmenter (+82 % depuis 2010), constituant l’une des principales sources de déchets au monde, mais aussi la plus précieuse (contenant des métaux précieux tels que l’or, l’argent et les métaux du groupe du platine). Selon l’étude, si cette tendance persiste et faute de solutions durables de recyclage ou de réparation, les rebuts électroniques mondiaux représenteront 82 millions de tonnes d’ici 2030. En 2022, sur les 62 millions de tonnes d’e-waste, seulement 22.3 % ont été collectées et recyclées dans une filière dédiée.
Après avoir longtemps envahi l’Asie (Russie, Inde, Chine…), l’e-waste venu d’Europe et des États-Unis se déverse aujourd’hui en quantités industrielles et en violation des traités internationaux dans les ports de pays d’Afrique de l’Ouest, dont le Ghana. Exemplaire pour sa stabilité politique et son respect du multipartisme, le Ghana fait ainsi face à la prolifération de décharges informelles à ciel ouvert, plus proches encore des habitations que la grande déchetterie d’Agbogbloshie, démantelée en juillet 2021.
Le Prix de la 13e édition a été attribué à une équipe composée du journaliste d’investigation anti-corruption et activiste Anas Aremeyaw Anas et des photojournalistes Muntaka Chasant et Bénédicte Kurzen (NOOR).
De février 2023 à février 2024, grâce à l’accompagnement humain et financier de la Fondation Carmignac, les lauréats ont conduit une enquête de terrain transnationale qui les a menés du Ghana à l’Europe en mêlant photographie, vidéo, enregistrements audios et reportage écrit.
S’éloignant du traitement dramatique souvent employé par les médias pour dépeindre le Ghana comme « la poubelle du monde », ils ont documenté pendant six mois un écosystème terriblement ambigu et complexe.
Accra, Ghana, printemps 2023. Zongo Lane, un vieux quartier de la capitale ghanéenne, ressemble à une caverne d’Ali Baba, avec des centaines de petites boutiques de composants électroniques, de modules et de pièces détachées en tout genre. Les appareils électroniques cassés sont démontés et réutilisés. © Bénédicte Kurzen pour la Fondation Carmignac / Noor.
Combinant une approche nationale et internationale, le trio a étudié les ramifications du trafic d’e-waste entre l’Europe et le Ghana, révélant l’opacité de ce circuit mondialisé.
En explorant le monde complexe des produits électroniques d’occasion au Ghana et en Europe, Bénédicte Kurzen a documenté les flux de déchets électroniques et les communautés qui les activent, remettant en question les stéréotypes négatifs sur les exportateurs et mettant en évidence l’inefficacité de la bureaucratie européenne en matière de déchets électroniques.
À l’autre bout de la chaîne, à Accra, capitale du Ghana, le chercheur et photographe documentaire Muntaka Chasant s’est plongé dans une étude sociologique de cette économie, dont dépendent de nombreuses communautés. Il analyse avec précision les groupes sociaux associés à l’exploitation d’e-waste, dévoilant une organisation hiérarchisée et les mécanismes d’un flux migratoire venu du nord-est du Ghana.
Avec son équipe, Anas Aremeyaw Anas s’est quant à lui infiltré dans les ports d’Accra pour pister les flux légaux et illégaux d’e-waste. Opérant clandestinement, et à l’aide de traqueurs implantés dans des déchets illégaux, il éclaire les stratégies et la corruption organisée pour contourner les lois, en Europe comme au Ghana.
En partenariat avec la Fondation Carmignac, l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR), a co-publié avec l’Union Internationale des Télécommunications (ITU) le Global E-waste Monitor, un rapport sur les enjeux concernant les déchets électroniques dans le monde.
Outil de référence pour les décideurs politiques et l'industrie, le Global E-waste Monitor 2024 fournit une vue d'ensemble des données et statistiques mondiales sur les e-déchets, ainsi que des progrès réalisés en matière de politique et de réglementation.

En collaboration avec Green Cross, les témoignages des lauréats de la 13ème édition ont également enrichi un plaidoyer qui expose les enjeux sociaux, environnementaux et sanitaires générés par la pollution de nos déchets envoyés au Ghana.
Structuré autour de 12 propositions, ce document est destiné à appuyer la prise de conscience de la société civile ainsi que des pouvoirs publics nationaux, et internationaux pour agir de manière concrète.

Le jury de la 13ème édition du Prix était composé de :
Dr Kees Baldé, Spécialiste scientifique senior, Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR)
Fabiola Ferrero, Photojournaliste, lauréate de la 12e édition du Prix Carmignac du photojournalisme
Vera Kwakofi, Chargée de programmes, Africa TV, BBC World Service
Lars Lindemann, Commissaire independent
Azu Nwagbogu, Commissaire indépendant, Directeur et fondateur de l’African Artists’Foundation et du Lagos Photo Festival
Alona Pardo, Responsable de la programmation à l’Arts Council Collection (Royaume-Uni)
Le pré-jury :
Fiona Shields, Directrice de la photographie, The Guardian
Mikko Takkunen, Éditeur photo international, The New York Times
Marta Weiss, Conservatrice principale, photographie, Victoria & Albert Museum
Green Cross
Green Cross est un réseau d’organisations non gouvernementales (ONG) de plaidoyer et de projets crée par Mikhaïl Gorbatchev en 1993, dans la continuité du Sommet de la Terre à Rio, en 1992. Présidée par Jean-Michel Cousteau, dirigée par Nicolas Imbert, Green Cross France et Territoires en est le représentant français. L’association contribue à donner des clés pour agir et accentuer la transformation écologique de nos sociétés, qu’il s’agisse d’eau et d’océan, d’alimentation, de villes et territoires durables, d’économie circulaire, de coopération et de solidarités.
United Nations Institute for Training and Research (UNITAR)
En tant qu’organe du système des Nations Unies dédié à la formation, l’Institut des Nations Unies pour la formation et la recherche (UNITAR) fournit des solutions d’apprentissage innovantes aux individus, aux organisations et aux institutions afin d’améliorer la prise de décision au niveau mondial et de soutenir les actions au niveau national pour façonner un avenir meilleur.