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15° Édition

Surpêche en Asie du Sud-Est

Un drame humain et écologique

Nicole Tung est lauréate de la 15e édition du Prix Carmignac du photojournalisme, dédiée à l’Asie du Sud-Est et aux atteintes aux droits humains et à l’environnement liées à la pêche illégale et à la surpêche.

Depuis le milieu du XXe siècle, la pêche artisanale côtière a laissé place à une pêche industrielle hauturière de grande échelle, qui touche toutes les mers du globe. Pour répondre à une demande exponentielle, et pour faire face à la concurrence, de nombreux acteurs du secteur n’hésitent plus à recourir à des pratiques dévastatrices de pêche illégale et à la surpêche.

Aujourd’hui, 80% des espèces propres à la consommation sont surexploitées ou pleinement exploitées, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Derrière cette industrie devenue incontrôlable qui menace la biodiversité, les atteintes aux droits humains se multiplient : conditions de travail déplorables, travail forcé généralisé et traite d’êtres humains transforment de nombreuses mers en zones de non-droit.

L’Asie du Sud-Est, qui possède l’un des écosystèmes marins les plus diversifiés au monde, est le centre de gravité de la pêche mondiale. Selon le SEAFDEC (Southeast Asian Fisheries Development Center), la région a contribué en 2018 à environ 52% de la production halieutique totale, ce qui représente plus de 21 milliards de dollars. C’est aujourd’hui l’une des zones les plus menacées par les pratiques de pêche illicites et les violations des droits humains, notamment en mer de Chine méridionale, dans le golfe de Thaïlande et les archipels des Philippines et de l’Indonésie.

Des travailleurs migrants birmans se préparent à décharger des centaines de raies pour les transférer en chambre froide, dans une installation appartenant à une famille de pêcheurs commerciaux, à Samut Sakhon, en Thaïlande, le mercredi 15 janvier 2025. Selon l’un des propriétaires, les poissons et raies congelés importés, visibles ici, proviennent d’Indonésie et sont vendus principalement pour la consommation intérieure en Thaïlande. Une grande partie des produits de la mer consommés aujourd’hui en Thaïlande est importée, les eaux thaïlandaises ayant été surexploitées et les stocks de poissons en déclin depuis plusieurs décennies.

© Nicole Tung pour la Fondation Carmignac

Le reportage de Nicole Tung a été réalisé sur une période de neuf mois avec le soutien de la Fondation Carmignac. Il examine les dynamiques complexes de la pêche industrielle dans la région et ses conséquences sur les écosystèmes marins et les communautés côtières. À travers des reportages de terrain en Thaïlande, aux Philippines et en Indonésie, Nicole Tung documente une industrie hautement opaque, où l’accès est souvent limité, en particulier en mer, où les opérations échappent largement au regard du public. Son travail explore des problématiques telles que l’affaiblissement des réglementations sur la pêche, l’impact des pressions géopolitiques sur les pêcheurs locaux, ainsi que les conditions de travail des travailleurs migrants en mer.

En Thaïlande, elle s’intéresse à la manière dont les réformes introduites après les révélations de 2015 sur l’esclavage en mer avaient permis d’améliorer les conditions de travail - mais qui risquent aujourd’hui d’être démantelées à mesure que les liens entre le gouvernement et l’industrie de la pêche se renforcent.

Aux Philippines, elle s’est concentrée sur l’escalade des tensions géopolitiques dans la région, documentant comment la domination croissante des forces maritimes chinoises a rendu les zones de pêche de plus en plus inaccessibles, entraînant d’importantes pertes de revenus et de moyens de subsistance pour les communautés locales. Son enquête sur le commerce du thon met en lumière les difficultés de traçabilité des chaînes d’approvisionnement mondiales en produits de la mer - depuis les petites conserveries côtières jusqu’aux marchés de sushi au Japon - soulignant le manque de transparence.

En Indonésie, Nicole a recueilli des témoignages d’abus extrêmes en mer - y compris des recrutements par endettement, des salaires retenus, et des violences à bord de navires détenus par des intérêts étrangers. Elle a également enquêté sur le commerce des requins, dont la viande est vendue localement tandis que les ailerons et les arêtes sont exportés, principalement vers la Chine et Hong Kong pour être utilisés dans les cosmétiques et la médecine traditionnelle.

Son travail aborde également l’efficacité des aires marines protégées, les alternatives de subsistance via le tourisme, ainsi que l’impact des chaînes d’approvisionnement mondiales en produits de la mer. L’Asie du Sud-Est joue un rôle central dans la pêche mondiale, représentant plus de la moitié de la production mondiale de poissons. Mais la région est aussi parmi les plus affectées par la pêche illégale, la dégradation de l’environnement et l’exploitation massive de la main-d’œuvre — autant de forces qui menacent l’avenir des écosystèmes marins et des communautés côtières qui en dépendent.

Nicole Tung est une photojournaliste indépendante, née à Hong Kong. Diplômée de l’Université de New York en 2009, elle travaille en free-lance pour des publications et des ONG internationales, couvrant principalement la région du Moyen-Orient.

OLIVIER POIVRE D’ARVOR, Envoyé spécial du Président de la République française pour la Conférence des Nations Unies sur les océans, Ambassadeur de France pour l’océan et les pôles

CANDIDA NG, Directrice photo adjointe pour la région Asie-Pacifique à l’Agence France-Presse

CLAIRE NOUVIAN, Présidente et fondatrice de l’organisation de conservation à but non lucratif BLOOM

ROMAIN TROUBLÉ, Directeur général, Tara

MONA BOSHNAQ, Éditrice photo principale à Londres, The New York Times

KIANA HAYERI, Photojournaliste, 14ᵉ lauréate avec Mélissa Cornet du Prix Carmignac du photojournalisme

DR DANIEL PAULY, Chercheur, biologiste marin

DIMITRI BECK, Directeur de la photographie, Polka

LE PRÉ-JURY

TESS RAIMBEAU, Iconographe, Libération VALERIO VINCENZO, Directeur de la photographie, Géo France DIMITRI BECK, Directeur de la photographie, Polka