5° Édition
Iran : Pages blanches d'un album de famille iranien
Le reportage de Newsha Tavakolian, réalisé en 2013, s'est concentré sur le sentiment de claustrophobie qui frappe la jeune génération du pays. Avec pour fil rouge le thème de l’album photo familial, ses photographies représentent ces jeunes issus de la classe moyenne en proie aux contradictions entre une société de plus en plus moderne et une idéologie islamique révolutionnaire.

Portrait de Somayyeh, professeur divorcée âgée de 32 ans. © Newsha Tavakolian pour la Fondation Carmignac
Née en 1981 à Téhéran, cette photographe autodidacte a couvert conflits régionaux, catastrophes naturelles et mouvements sociaux pour de grands titres internationaux.
Ayant décidé « de continuer l’album de famille de [sa] génération », elle suit neuf hommes et femmes « ordinaires », qu’elle photographie et filme dans des décors naturels de la mégapole iranienne et de ses environs. Newsha Tavakolian recueille ainsi les mots de cette jeunesse de la classe moyenne, prise entre la préservation de son intimité et le verrouillage de l’espace public, ses rêves d’avenir et les pesanteurs du passé, sa culture ouverte et la clôture des fanatismes, et dont les portraits composent une galerie délicate et mélancolique. « L’album de famille est la vitrine de ma génération. Les albums jaunis et les instantanés d’enfants souriants dans leurs plus beaux vêtements témoignent de nos espoirs et de nos rêves, mais ils finissent sur des pages blanches lorsque nos parents ont cessé de prendre des photos […]
L’Iran est le pays où je suis née. J’y ai été à l’école, mené ma carrière et ne suis jamais partie. Comme photographe, j’ai toujours lutté contre la perception de la société dans laquelle je vis, sa complexité et ses malentendus. Avec ce projet, j’ai décidé de continuer l’album de famille de ma génération. Pour ajouter les photos jamais prises de leur vie d’adulte telle qu’elle est aujourd’hui. J’ai suivi neuf personnes qui, dans un certain sens, permettent de décrire cette génération. Elles sont ordinaires et peuvent ainsi représenter de nombreuses personnes. Cet album de famille leur appartient, c’est ma vision de la vie en Iran aujourd’hui, sans romantisme et confinée. Les personnes qui sont photographiées sont interchangeables, placées au hasard dans le décor naturel de ce qui est ou pourrait être leur vie quotidienne.
Au début, j’ai rassemblé des instantanés de leur enfance provenant de leur propre album de famille. Puis, j’ai pris une série de photos décrivant leur vie telle qu’elle est aujourd’hui, comme dans un reportage. Les personnes ne sont pas forcément présentes sur les photos, mais celles-ci illustrent leur style de vie aux quatre coins de la mégalopole de Téhéran.
J’ai emmené mes modèles sur une montagne qui domine Téhéran, capitale de l’Iran […] Dans ce lieu, je leur ai demandé de trouver leur propre place, même si elle n’est pas plus grande que l’espace occupé par leurs pieds. Contrairement aux autres images, ces neufs portraits sont mis en scène.
Aujourd’hui, ce qui m’intéresse est de pouvoir communiquer, à travers ce travail, les sentiments de certaines personnes qui vivent en Iran […]. Ce que je souhaite c’est représenter une génération marginalisée par ceux qui parlent en son nom. »
Filles fumant pendant une pause entre deux cours sur le campus.
© Newsha Tavakolian pour la Fondation Carmignac
Présidé par Anahita Ghabaian, directrice de la Silk Road Gallery à Téhéran, le jury de la 5e édition du Prix Carmignac du photojournalisme était composé de :
Christian Caujolle, commissaire indépendant
Celina Lunsford, vice-présidente de la Deutsche Fotografische Akademie, directrice artistique du Fotografie Forum Frankfurt
Davide Monteleone, lauréat 2012 du Prix Carmignac du photojournalisme
Jean-Pierre Perrin, grand reporter chez Libération, spécialiste de la région
Reza, photographe
Mark Sealy, directeur d’Autograph abp, à Londres
Jérôme Sessini, photographe
Sam Stourdzé, directeur des Rencontres d’Arles